Pelotte d'Avril
29 avr. 2013
Déjà la fin du mois d'avril, et je me dis que je n'ai rien vu passer.
Il faut dire qu'il s'en passe des choses. Que brouillons d'articles inachevés, de textes sans relief, de photos floues et d'idées raturées. Ce n'est pas l'inspiration qui manque, mais le temps de macération. Je suis trop occupée, emportée par l'écume des jours.
Moi je fonctionne à l'ennui. Rien de tel pour permetre à l'esprit de vaguabonder.
L'idée doit tourner suffisamment longtemps dans ma tête, comme un morceau de verre brisé dans le ressac de l'océan. Mon courant d'esprit espiègle l'use, l'érode, l'affine et la polie jusqu'à se qu'elle soit jetée sur une feuille ou un clavier comme un umble trésor sur la plage, par la dernière vague d'imagination avant que la marrée ne redescende.
Mais lorsqu'une idée en remplace une autre trop vite, s'ajoute, se soustrait, se divise, se distrait, alors le courant trop plein s'alourdit et aucune d'entre elles n'atteint le rivage.
Et aucun article ne fleurit sur la toile.
Mais laissez-moi plûtot vous parler d'un morceau de tourbillon qui m'anime chaque jour depuis un mois.
J'ai accepté un troisième emploi.
Deux, c'est trop facile.
Tout commence un dimanche 31 mars à cause des fleurs de cerisiers.
Au printemps les nippons suivent de près la floraison des arbres tout les jours grâce à l'Agence météorologique du Japon, qui tient la carte du sakura zensen (桜前線 front des fleurs de cerisier) chaque soir après le bulletin météo. C'est aussi à ce moment de la soirée que l'on vérifie pour la journée à suivre la direction du vent, porteur du pollen de diverses essences et notament celui du cèdre de l'himalaya, dont près de 15% de la population est allergique.
Moi aussi.
Ce jour-là donc, est organisé un Hanami sous les cerisiers en fleurs. Le Hanami est une fête incontrounable du printemps japonais dont la population rafolle et qui déplace foule tout les ans, remplissant ainsi les bords de rivières, les parcs, et plus généralement chaque emplacement comportant un arbre en fleur, de joyeux fétards faisant des pique-niques.
Pour mon premier printemps en Japon, j'ai prévu d'amirer les arbres, de ne pas compter les verres d'alcool de prune, et d'engloutir quantité de sushis en chantant à tue tête des tubes des années 80 en dansant la farandole avec des salarymans soûls sous les fleurs de cerisiers. Tout un programme.
Mais le jour de notre hanami, il pleut.
La fête est donc déplacée dans une colocation avec un gand living-room située non loin du parc. Moi j'ai prévu de m'y rendre à la fin de mon travail à la boulangerie. Avec les beaux jours, la dose de travail augmente petit à petit, ce qui me ravis car mon salaire suit la courbe montante avec entrain. Lorsque je débarque dans le salon bondé vers 15:30, la fête va déjà sur sa fin. Je discute un moment avec Ramon, un américain fraichement débarqué pour devenir professeur d'anglais.
Je ne me doute pas que notre conversation anodine est suivie dans mon dos et avec le plus grand interêt par Kaori. Elle finis par venir me voir et me propose de passer le lendemain à son école car elle cherche un nouveau professeur. Mon boulot à la boulangerie me plait, me suffit et je m'apprête à refuser poliment. Mais elle sort l'argument ultime: Un sponsor de visa et un travail à temps plein trés bien payé.
Aller voir, ça ne coute rien.
Je m'y rend donc le lendemain, 1er avril.
Il 'agit d'un établissement appartenant à un groupe d'enseignement privé destiné aux enfants entre 3 et 10 ans. Chaque classe doit être menée par un professeur japonais bilingue et un professeur étranger dont la langue maternelle est l'anglais.
Après un coup de fil au grand directeur général, il s'avère comme je m'y attendais que je ne suis pas éligible pour un visa de travail. La raison est simple et toujours la même : Je n'ai jamais posé une moitié de fesse même distraite sur un banc d'université. On le saura.
Mais elle me propose tout de même un poste à temps plein jusqu'à mon retour en France. L'affaire est tentante. Obtenir un poste d'assistant en langue anglaise dans une école privée est chose exeptionelle pour qui n'est pas natif anglophone. C'est un oportunité rare da rajouter une ligne utile à mon CV. Mais je me suis engagée à la boulangerie jusqu'à mon départ, et le travail me plaît. De plus ce mois-ci est le plus occupé de la saison, il est hors de question que je m'arrête maintenant.
Mlle la directrice insiste, j'argumente, elle me fait les yeux doux, j'accepte un temps partiel.
Moi, toujours rêvant de m'échapper de mes salles de mes cours, m'asseyant toujours au plus près de la fenêtre pour regarder voler les hirondelles, arrivant en dernier dans la salle, partant un premier, courant m'assoir dans le couloir à la moindre interclasse, discutant allègrement de tout ce qui n'avait aucun rapport avec le programme, couvrant mes cahiers de griboullis, me voilà professeure d'anglais.
Mes élèves ont entre 2 et 5 ans, m'apellent "Rill teacher", et je suis payée une fortune pour chanter, répéter, jouer au parc, gribouiller et faire des collages tout en anglais
. Facile.
Voici donc un aperçu de ce qu'est devenu mon emplois du temps depuis le 1er avril, pour une moyenne trés variable de 50H par semaine.
Au début, j'avais surtout peur de ne pas tenir le rythme physiquement. Mais en recomptant bien, je travaille rarement plus de 8H par jour et bien que je n'ai pas de jour complet de congé, j'arrive toujours à caser une petite sieste par-ci par-là, tout est une question d'organisation. Chez moi quand j'ai le temps, sur un banc au soleil, sur une banquette de metro, dans la maison miniature de ma salle de classe,
ou dans les toilettes de la gare de Higashiyama.