Le 23ème rayon de soleil
16 mai 2013Mercredi 15 mai 2013 j'ai trop mangé.
La journée avait pourtant bien commencé.
Comme tous les jours, mon réveil sonne à 5h30. Un quart d'heure plus tard, je sors de mes couvertures, j'ai trop chaud. Ma chambre orientée plein nord est à peine touchée par les rayons du soleil matinal, mais il y fait déjà très chaud. Ces derniers temps, même dormir la fenêtre ouverte ne m'épargne pas les suées nocturnes. L'été arrive. A moins que ce ne soit parce que je refuse de me délester de deux couvertures en plus de ma couette.
Débarbouillée, propre et habillée, je file dans le salon. Le rituel est un peu rodé. J'appuie sur le bouton d'allumage de l'ordinateur, puis sur celui de la bouilloire. Deux cuillères de café soluble, une de sucre, un mot de passe, et les restes de la veille à la micro-onde. Lorsque Windows chante, la bouilloire clapote.
L'odeur musquée du café chaud se répand dans la pièce baignée de lumière blanche, ainsi que celle du riz au fromage.
Je me régale d'une main, tandis que l'autre danse sur la toile mondiale. J'ai beau me retrouver à l'autre bout de la terre, rien n'est loin. En cet instant je ne diffère en rien des centaines d’autres utilisateurs regardant un épisode passionnant de série américaine sous-titré français, excepté peut-être par le degré d'ensoleillement de la pièce où je me trouve.
Il est très peu probable cependant que le logiciel de communication à distance se mette à au même moment sur tous les écrans de ces internautes. En tout cas chez moi, il sonne.
Une discussion passionnante avec la France qui se couche tard me fait presque oublier l'heure du Japon qui se lève tôt.
Ni une ni deux, j'enfourche mon destrier à pédales. Je file telle l'hirondelle agile, sprintant contre le temps perdu. Mon chemin longe la rivière aux berges couvertes d'herbes hautes et grasses, dont la rosée s'évapore emportant avec elle de lourdes fragrances d'humus et de fleurs des champs.
Certaines parcelles de la rive sont cultivées par des clubs de séniors, que je croise pour l'instant faisant leur promenade matinale dans des tenues de sports à faire pâlir un athlète des JO. Chaussures étincelantes, jogging dernier cri et t-shirt anti transpiration; de vrais sportifs sexagénaires très certainement tous en train de s'échauffer, puisque je n'en vois courir aucun. Le tout additionné de casquette a visière noire et de gants blancs, pour surtout, ne pas bronzer.
Trois minutes plus tard, je gare mon vélo contre un arbre, et pose un pied sur le quai au moment où le train rutilant entre en gare, comme d'habitude sans même une seconde de retard. Je me faufile jusqu'à mon point d'embarquement, toujours le même, qui correspond pile-poil au bas de l'escalator du quai trois stations plus loin, ou je fais ma première correspondance.
Il se trouve que par hasard, ce point sur le quai, délimite aussi l'entrée du wagon réservé aux femmes le matin et le soir en semaine. On peut donc lire tranquillement son roman à l'eau de rose, sans avoir à guetter de près les individus de sexe masculin de son entourage, et se méfier de chacun coup de freins faisant tanguer la rame bondée, et pouvant justifier nerveusement une main pas si discrète sur vos fesses ou un rattrapage en catastrophe a la première chose qui dépasse, à savoir votre poitrine.
A 7h30, je pousse enfin la porte de la boulangerie, en nage. Mais il ne fait pas moins chaud à l'intérieur. Les pétrins, les deux fours géants et la radio branchée sur RMC tournent depuis trois heures du matin dans l'arrière-boutique. Les clients n'arrivant que dans quelques heures, la climatisation n'est pas encore en marche. Tandis que je m'affaire sur mon plan de travail faisant défiler sandwichs, croque-monsieur et autres tartines croquantes, la vitrine se remplit de baguettes dorées, de pains aux milles saveurs, de pâtisseries luisantes et de viennoiseries dorées. L'odeur suave de farine croustillante cantonnée jusqu'alors au fournil se répand dans le magasin et par le biais de l'aération, se déverse dans la rue attenante.
Les premiers clients ne se font pas attendre. Des jeunes, des vieux, des étrangers, se collent aux vitres, se questionnent, commandent, changent d'avis, se ravisent encore et repartent en serrant le butin ambré contre leur cœur.
Cinq fois soixante minutes plus tard, je fais griller des invendus de la veille, une part de quiche et de cake à la tomate, et un croque-monsieur, qui accompagnés d'un café et d'une tartelette au chocolat, qui constituent mon déjeuner. Je fredonne en dégustant le chocolat crémeux et la nougatine, avant de signer ma fiche de présence et de reprendre le métro. Il fait un temps superbe et la boulangerie ne désemplis pas, mais les enfants m'attendent.
La directrice de l'école a prévu un beau gâteau à la crème et aux fraises pour le dessert des enseignants, et je mange ma part avec délices, et un café.
Le programme des cours est établi d'avance, comme il l'est pour chaque jour de l'année à venir. Suivant à la lettre les indications, nous dansons, chantons, récitons, jouons, récitons, allons au parc, dansons, colorions, chantons, récitons, jouons et récitons une dernière fois devant la génitrice, pour lui montrer qu'elle a eu raison de convaincre son mari de payer une fortune ces cours de l'après-midi tout en anglais.
A peine fatiguée grâce aux litres de café engloutis durant la journée, je salive d'avance en pensant à la soirée sushi organisée ce soir dans la colocation. Le soleil se couche lorsque que je remonte sur mon vélo pour longer la rivière à contre sens. Le ciel change de couleur, les cigales continuent de chanter, les herbes chaudes enveloppent ma course de parfums sauvages et les seniors enfilent de nouveau leur tenue de champion de marathon pour promener Médor.
C'est l'effervescence dans le living-room. Seiji, ancien employé de bar à sushi reconvertis en designer chez Toyota, s'occupe de faire la fête aux morceaux de poissons crus. Keisuke le chercheur universitaire en programmes pour voitures intelligentes, confectionne les iranizushi, tandis que Kaori l'assistante scolaire et Jayoung, au chômage après une épique démission pour cause de surmenage l'ayant envoyée une semaine à l'hôpital, vont acheter l'indispensable: de la bière et de l'alcool de prune.
Le festin peut commencer. Le sushi, ça se mange sans fin. J'engloutis une quantité impressionnante de poisson cru et de riz vinaigré, rehaussé à la moutarde de raifort et sauce soja. Même lorsque le riz vient à manquer, je continue. Le chair fondant sous la langue, les œufs de poisson oranges et croquants, les crevettes et le calmar crus, l'omelette sucrée, tout y passe. Je me tiens le ventre d'aise, affalée sur le tapis, quand Rié sort le dessert.
Un énorme gâteau à la crème au chocolat et aux fruits.
Une part démesurée de ganache épaisse rejoint lentement mais sûrement le contenu de mon estomac déjà plein, sous le regard fixe de ma nouvelle giraffe en plastique, mais qu'est-ce que c'est bon.
Cette nuit-là, j'ai eu du mal à dormir a cause de mon estomac trop plein.
Heureusement que cela n'arrive qu'une fois par an.