J’ai toujours pensé que la phrase « tu devrais faire du théâtre » était une raillerie sociale déguisée réservée aux individus possédants un caractère trop extravagant. Rill, actrice au Japon ? La bonne blague : L’idée de jouer devant un public ne m’a jamais séduite, l’incarnation transcendantale d’émotions autres que les miennes me semble impossible. J’admire le travail d’imprégnation artistique comme un exercice psychologique de haute voltige inaccessible à mon égo. 

>> Première partie : casting involontaire <<

D'être une étrangère au Japon

Pourtant, devant les compliments enthousiastes de la scénariste coréenne qui vante mes vertus rayonnantes comme essentielles à l’atmosphère sinon trop sombre de son histoire japonaise, je jette mes préjugés aux orties. Après-tout, m’ayant côtoyé plusieurs semaines d’affilée, peut-être a-t-elle vu en moi quelque facette comédienne dont j’ignorasse l’existence. Diantre.

Mais quel genre de personnage vais-je devoir incarner ? Car s’il y a une chose dont j’ai horreur, c’est la propension que peuvent avoir les médias japonais à renforcer les clichés sur les étrangers. On les retrouve à foison à la télévision et sur les affiches publicitaires : Les minces filles blondes sont rêveuses, les hommes sont grands et businessmen. Les acteurs/mannequins caucasiens sont quasi systématiquement choisis avec une inflexion désastreuse et un niveau de langue infantilisant. Certains comédiens se voient même demander d’agir de manière exagérée, sans que le public japonais ne réalise à quel point ces pratiques encouragent l’image d’un japon impénétrable : ce qu’il n’est pas. Ne venez pas me demander de colporter ce genre d’inepties ou bien attendez-vous à mourir dans d’atroces souffrances à votre prochaine part de quiche au tofu.

Source : All Nippon Airways

Source : All Nippon Airways

#RecetteDeTomatesAl'Arsenic

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Tu joueras une Française dans une auberge de jeunesse. Il te suffira d’être toi-même

#QuelleOriginalité #ToujoursPlus

C'est l’argument qui achève de me convaincre, quoique je ne me doute pas encore à quel point cet exercice d'apparence annodine est compliqué en réalité. Comme je suis censée jouer mon propre rôle, j’aurais quartier libre avec le texte, tant que la substance est respectée. Pas de relooking, pas d’accent incontrôlable ni de stéréotypes niais à part peut-être un verre de vin et de la bonne cuisine, rien de plus ou de moins que ce que je ne suis déjà: Le rôle de ma vie. Seul change mon nom, hommage à une amie de son adolescence. Facile à intégrer : tout le staff me surnomme déjà « Béné-chan ».

Ni costumière ni coutumière

« Tu peux revenir demain pour les essayages ? » Quoi, déjà ? 
« Amène un pyjama et trois tenues de ville, ce que tu portes d’habitude, se sera parfait. » Certes, c’est ma chance de pouvoir contrer les clichés, mais le but n’est pas d’écorcher la rétine des spectateurs bobos venus découvrir un petit film d’auteur dans un cinéma de ruelle entre un magasin de fripes et un restaurant de ramen. Il faut donc choisir avec soin.  
N’ayant aucune référence visuelle sur laquelle m’appuyer, je suis dans le flou. « Bénédicte est un peu artiste dans l’âme». C’est tout ? Dois-je coller à l’image de la Française artiste selon le public extrême-oriental ou bien à ma propre opinion en tant qu’ancienne étudiante en école d’art ? Parce que je vous assure que la douve de palais impérial est profonde entre les deux résultats : Il y a même une époque où je me rendais au lycée couverte de grelots de la tête aux pieds, parfois même portant un tricorne surmonté d’une véritable patte de ragondin empaillée.
La réalisatrice ne semble vraiment pas avoir froid aux yeux, mais si elle a pu cerner une âme d’artiste en ma personne, elle n’a en revanche pas conscience de mon passé trouble de styliste incomprise. Restons discrète.

Seule devant mon dressing, je m’arrache les cheveux. En tant que personnage tertiaire, je me doute que les couleurs trop vives ou les coupes vraiment trop originales seront écartées directement par l’équipe de tournage. Mais que diable suis-je censée faire ? Je serai bien tentée d’emmener la totalité de ma garde-robe pour les laisser choisir, mais je doute que mon personnage mérite autant de préparation pour trente secondes d’apparition à l’écran. On va me prendre pour une folle qui s’imagine qu’elle tourne à Hollywood.

Rill salue la Corée du Sud - janvier 2018

Rill salue la Corée du Sud - janvier 2018

Imaginant le rendu à l’écran, j’écarte au premier regard mon pyjama préféré, compagnon de mes nuits les plus douces et autres déjeuners au lit bancals. Oublions celui qui porte l’imprimé « Rencontre des clubs de robotiques de Munich ». Je doute également que le budget de la production puisse s’offrir le luxe de l’imprimé Pikachu. Et il est peu probable que la face grimaçante de démon japonais sur fond jaune canari concorde avec l’image que les Coréennes se font d’un pyjama à la Française. Pas le temps d’aller faire du shopping, j’opte finalement pour le combiné sweat à capuche/leggins galaxie. Je vous assure que c’est ce que j’ai de mieux. Pas sûre que ce soit le résultat girly attendu, mais je n’ai pas de pyjama de soie bleu ciel à liseret blanc et boutons de nacre fleuris sous la main, alors zut. Quant à la tenue de ville, après moultes tergiversations j’assortis le genre de vêtement que je porterais à une sortie entre amis, mais dans le groupe duquel se trouve le mec timide qui me plait. La combinaison parfaite : Mes tantes coquettes seraient fières de moi.
Je suis finalement surexcitée. Moi, la folle de Drama japonais, je m’apprête à voir les coulisses d’un tournage, et à faire mon apparition dans l’histoire. La boucle est bouclée. « C’est la chance de ma vie », s’imprime peu à peu en lettres dorées dans mon cerveau.

Je vous épargne les regards déçus de l’équipe quand j’ai ouvert ma valise. 

#@&*$ !!!*

*Sapristi

Mais que fallait-il mettre ?
Le tournage commence la semaine prochaine !
Vais-je trouver l'adresse du lieu de tournage ?
La production possède-t-elle une assurance contre les actrices en carton ?

La suite au prochain épisode !

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