Parlons travail un peu.

 

Je suis venue au Japon en visa Working-Holiday, mais il s’agit en fait beaucoup de travail que de vacances. Dans un précédent article nommé « Le pourquoi du comment »,  j’ai expliqué ce qui m’a amené jusqu’au Japon.

 

J’ai donc commencé un stage dans une entreprise d’impression et de reliure industrielle à Nagoya. Il doit durer trois mois à Compter du 1er août 2012, et déboucher éventuellement sur une embauche pour le reste de mon visa, c’est-à-dire jusqu’à la fin Juillet 2013.

 

 

 

L’entreprise dans laquelle je me suis rendue possède six lieux de productions à travers le Japon, plus de 300 employés, des machines gigantesques qui fonctionnent parfois jour et nuit dans un boucan d’enfer, laissant entrer de gigantesques feuilles de papier glacé d’un côté, et sortir des livres aux couvertures rutilantes 100 mètres plus loin. En une heure et au milieu d’odeurs de mécaniques chaudes, ces machines aidées par la force de dizaines d’ouvriers et d’ouvrières, avalent des tonnes de papier pour en faire des tonnes de livres. Un vacarme assourdissant de rouages et de courroies suffisant pour rappeler sa jeunesse à votre arrière-grand père sourd, comme à la révolution industrielle.

 

grand pere

 

 

Le 1er août dernier, je me présentai donc avec mon vélo rouge flambant neuf, à 8h00 pétantes à l’entreprise. Je déposai mes affaires dans mon nouveau casier, enfilai mon T-shirt vert avec un énorme logo dans le dos et mes crocs bleues neuves, elles aussi.

Avant toute chose, petite entrevue avec le patron (toujours aussi bon au karaoké, mais ça, je ne le savais pas encore, cf. « Minishort et yakitori »). Entre les différentes explications sur mes horaires,  mes devoirs et autres réjouissances du travail à la japonaise, j’eu la surprise de recevoir mon salaire de 600€ d’avance, et en liquide !

Puis vint la visite du lieu de travail. 

Pour des raisons de praticité, ils ont décidé de me placer dans le service de d’impression à la demande.

 

Un atelier avec trois personnes, et deux imprimantes géantes, genre copy-fac.


 

Après les films steampunks que je m’étais fait (sans rire, elle vous a fait rêver ma description ?), je ne vous cache pas ma déception. Envolés les monstres de fers, les dévoreurs de papier, le vacarme des pistons et l’odeur de colle mélangée la sueur des ouvriers… Bref, un monde qui s’écroule.

D’autant plus que durant le mois qui suivit, je pliai des flyers, coupait des cartes de visites, remplissait des enveloppes pour des mailings et collait des couvertures au bâton de colle.  En outre, le mois d’août et sa fête de l’Obon, firent que très peu de commande arrivèrent, et je passai la plupart de mon temps désœuvrée, telle Amélie Nothomb. Après avoir bidouillé quelques jours sur Illustrator en japonais afin de me créer une nouvelle carte de visite personnalisée, nettoyé chaque machine de l’atelier jusqu’aux dévidoirs de scotch, remplis chaque coins de grues et d’étoiles en papier, et même crée mon propre Origami original : Mr Morse ;  je tombai à cours d’idée. Je passai donc un temps considérable sur la toile, d’où le nombre important de billets ces dernières semaines.

 

Photo-0025.jpg

 

Fort heureusement, si le boulot était ennuyant aux derniers degrés, ce n’était pas le cas de mes trois camarades de bagne. Le courant est plutôt bien passé. Il faut dire qu’ils rigolaient à mes blagues pourries et suivaient bien souvent mes délires, comme la fois ou le gâteau que mon supérieur avait laissé plusieurs jours dans le frigo a mystérieusement disparu.  S’en suivit une journée de spéculations incroyables, car au Japon voler le bien d’autrui est impensable. Nous avons donc inventé mille-et-une manières de trouver le coupable, jusqu’à évoquer des  idées de tapettes à souris, de micro-caméra, de gâteau à la moutarde-harissa-wasabi avec détecteur de diarrhée dans les toilettes… Cette dernière idée étant de moi bien évidement.

 

Ces trois lascars avaient aussi pour habitude de dégainer leur console portable après le repas de midi pour s’affronter en ligne sur Mario-kart. Durant cette demi-heure quotidienne, tout individu passant par l’atelier pour rejoindre le coin clope, se retrouvais forcément confronté aux insultes dispensées mutuellement par les trois compères, complètement immergés dans leur course. L’occasion pour moi d’apprendre un vocabulaire nouveau.

 

 

images-n1-0369.JPG

 

 

Toujours est-il au bout d’un mois, le grand directeur se décida à me transférer.

Il y avait une autre usine à Nagoya où je pourrais prêter main-forte dès le mois de septembre, et par là-même apprendre de nouvelles choses. Il semblait aussi que cette entreprise posséda un service de reliure manuelle, ce pourquoi j’étais venue à la base.

Seul hic, le temps de trajet pour rallier ce nouveau bâtiment depuis mon appartement: environ 1 heure en vélo, ou en transport en commun.

 

Ayant été prévenue une semaine à l’avance, je profitais d’un dimanche de repos pour tester le trajet en train. L’idée d’utiliser mon vélo m’avait effleurée, mais j’eu vite fait de l’abandonner. Le Japon n’est pas un pays plat. Sur 1km, vous avez 4 montées, autant de descentes, avec parfois une dizaine de mètres de dénivelé… Autant dire qu’à moins de participer aux JO section vélo de montagne, aucune chance de tenir le choc sur deux mois. 

La seule autre solution potable était le train, me forçant à faire un énorme détour, prendre deux correspondances, dépenser 10€ par jour, et compléter le tout par 20 minutes de vélo.

Choix cornélien donc, entre ma santé et mon porte-monnaie. 

 

images-n1-0334.JPG

 

J’en fis part à mes camardes, et le dilemme ne tarda pas à remonter jusqu’à ma hiérarchie,  qui outre de la compassion, m’apporta la solution. Mon directeur m’offrit une carte de transport.

Le problème était donc réglé. Mon collègue me prêta un vélo supplémentaire pour mes trajets dans mon quartier, et nous amenâmes mon beau destrier rouge à la station Nisshin (à côté des girafes !), où je descendrai chaque matin pour rejoindre ma nouvelle usine au milieu des rizières.

 

 

 

 

images-n1-0362.JPG

 

 

J’embauchai le 3 septembre dans l’entreprise de Tôgô. Et tous mes rêves de machines puissantes et de mécaniques en sueur se réalisèrent. Et cerise sur le gâteau, je fus placée sous la direction du seul relieur manuelle de l’usine.

 

Tout est bien qui finit bien ? Pas complètement, ce serait trop beau.

 

Cette première semaine fut une semaine de tests. Mon responsable chercha à savoir où mes compétences en reliures atteignent leurs limites. Je fis de mon mieux, et enchainai donc les bourdes et les imperfections. Mais il s’en dit satisfait, et répondit en riant au PDG en visite qui lui posa la question, que je pourrais sans doute travailler même en son absence. Sachant que les japonais ne connaissent pas l’humour noir si cher à nous autres français, ce fut plutôt encourageant.

 

Mais le travail manqua cette semaine là aussi, et plutôt que de me laisser faire des origamis, on me fit plier des feuille de papier, les jeter, et recommencer avec d’autres, pour finir encore et toujours par les jeter. J’ai parfois la chance de pouvoir aider au fonctionnement des monstres de fer, en leur donnant des piles de papiers à manger, ou en rechargeant leur énormes réservoirs de colle épaisse. Mais en y réfléchissant bien, je crois que je préfère cela mille fois à mon précédent travail de dépoussiérage aux archives de Bordeaux.

 

 

 

 

 

Aujourd’hui, après cette première semaine éprouvante, c’est enfin le week-end, comme un miracle. Avec 8h30 de travail par jour, 2h de transport en moyenne, et un lever à 5h45 du matin, je suis donc entrée dans le fameux cycle «métro-vélo-boulot-dodo». Tout cela me laisse environ 3 heures  hors travail et dodo, ce qui après avoir ôté tâches ménagères, douche et cuisine, et autres, me laissent en tout et pour tout une petite heure de liberté.

Je vis la vie d’un japonais moyen, finalement.                                                                               

 

Je me dis souvent que c’est ce que j’ai cherché en venant travailler au Japon, et aussi qu’après avoir fourni tant d’efforts, et avoir traversé la moitié de la planète, abandonner en si bon chemin n’aurai pas de sens, d’autant qu’en lisant les blogs de mes compatriotes, je me rend compte que pour tout le monde, c’est à peu près identique.

 

 

 

Et quelques fois, je me retrouve à rayonner de bonheur, en mangeant mon riz matinal devant une émission grotesque, en prenant le train bondé de salarymans portant tout le même costume et la même serviette, en croisant les écoliers en uniformes, et en prenant des photos du ciel saturé de fils électriques au crépuscule.


 

images-n1-0352.JPG

 

Sora 0040

 

 

 

 

 

Au final, personne ne saura que c’est moi qui ai mangé le délicieux gâteau aux haricots rouges.

 

 tumblr m76qvjXxVn1r0v5tzo1 1280

Retour à l'accueil