Je me réveille dans le train vers 16 heures, une pluie dense bat les vitres de mon wagon.

- Mince, me dit-je encore à moitié dans mon rêve, je n'ai pris ni bottes, ni parapluie. Depuis quand pleut-il d'ailleurs ?

 

 

La vallée de Kiso 4423Lorsque j'ai quitté Nagoya en début d'après-midi le soleil brillait un peu trop fort, transformant le trottoir en sauna. Le monde suait à grosses gouttes, et les femmes couvertes des pieds à la tête se cachaient sous leurs ombrelles. A peine assise dans mon wagon, je me suis endormie, bercée par l'air conditionné. De toutes manières ma première correspondance est prévue au terminus de cette ligne.

 

Trois jours. Enfin.

 

Ces derniers temps, le travail se corse. Le ventre de la femme du boulanger atteint des proportions impressionnantes, l'accouchement est pour bientôt. Je reprends peu à peu les tâches dont elle s'occupait. Cette femme est une force de la nature. Et je me sens souvent bien bête lorsque je bloque devant un grammage de crème, me débat avec la cafetière, demande où sont les pailles, oublie ce que l'on m'a dit quelques minutes auparavant, ou me rend compte qu'il n'y a pas de jambon dans le sandwich jambon-fromage que je viens de terminer.

 

Quelques ordres en plus, et je m'emmêle les pinceaux.

 

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A l'école le nombre de mes élèves augmente doucement, au fur et à mesure que les parents nous abordent lors des sorties au parc. Il faut dire qu'avec nos casquettes oranges et à courir à tors-et-à-travers en hurlant en anglais derrière des enfants hilares, impossible de passer inaperçus. Et puis les gamins sont les premiers à en parler à leur copains, les parents connaissent nos noms par cœur à force de les entendre à la maison "bidule-teacher" par-ci, "machin-teacher" par-mi, et certaines petites tête brunes pleurent lorsqu'elles apprennent que "non, demain c'est samedi, il n'y a pas école, alors on se retrouve lundi".

 

J'ai beau manger correctement, boire des litres d'eau, et régler précieusement mon rythme de sommeil pour atteindre à coup sur les 8 heures de sommeil par nuit, je suis au bout du rouleau à patisserie.

 

 

 

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Et au milieu de ce brouhaha, une occasion en or.

 

Les deux jours nécessaires à la formation de l'employée qui me succèdera à la boulangerie, à cheval sur le jour de fermeture du magasin.

Je m'empresse de demander les après-midi correspondantes à l'école. Le nouvel américain qui vient de finir sa formation pour me remplacer aussi plongera directement dans la pataugeoire.

 

 

Moi je m'enfuis lâchement dans les montagnes de Kiso. Arrêter de se ronger les ongles pendant un temps et tenter d'empêcher la terre de tanguer dès que je fais un mouvement brusque.

Retourner à la terre, aux étoiles et aux oiseaux.

 

 

 

 

Incapable d'attendre plus longtemps à Nagoya, j'ai sauté dans le premier train vers le nord, et suis tombée deux fois sur des lignes expresses. Mon train arrive en gare de Nakatsugawa son terminus. Et le suivant à Kiso-Fukushima, dans la préfecture de Nagano. La pluie s'est calmée, et la ville humide dans la vallée m'accueille à bras-ouvert.

J'ai deux heures d'avance sur le bus qui doit m'amener au cœur de la vallée voisine.

 

Grand-mère Yumiko qui tient le ryokan, viens me cherche en voiture en riant. Cela fait près de 6 mois que l'on ne s'est pas vu réalisais-je. Et cela me fait un bien fou de lui parler. Je me sens chez moi rien qu'en m'asseyant sur le siège saumon de la Toyota rutilante. On en a des choses à se dire. Dans la vallée de Kaidakougen tout est vert. Un beau soleil fait briller la rivière et les glycines sont en fleurs. La température frôle un agréable 24°C et l'air sent la montagne.

 

Je le respire à pleins poumons, et j'oublie tout.

 

 

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Le repas du soir en compagnie de Mr Nishimura, suivit d'un bain fumant dans lequel je flotte une demi-heure, achèvent mes derniers souvenirs urbains et l'amnésie me plonge dans un sommeil réparateur.

 

 

 

 

 

 

Le lendemain matin, je me réveille emplie de plénitude. Je prends le temps. Celui de me tortiller dans mes draps comme un chat au soleil. Celui d'admirer un fois de plus la chambre traditionnelle en bois noir avec ses tatamis, ses fenêtres-cloisons en papier rapiécé, et l'encre de chine au mur représentant un cheval à la croupe ronde. Celui de m'asseoir au soleil en kimono léger, puis de m'habiller pour prendre le délicieux petit-déjeuner qui m'attend en bas.

 

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Mr Nishimura a posé une journée de congé au golf, pour pouvoir se promener avec moi et Yumiko.

 

 

Senninburo

Nous nous rendons à Suwa pour rencontrer des amis, puis s'immerger dans le "sen nin buro" : Le bain aux milles hommes. La ville de Suwa est aujourd'hui appelée "Suisse orientale" en raison de son industrie de pointe en matière de précision. Mais elle fut pendant très longtemps une très grosse manufacture de soie. Chaque fille de la région était destinée depuis sa naissance à la confection de la soie. Afin d'augmenter la productivité, les autorités firent construire un bain immense et suffisamment profond pour que chacun puisse se tenir debout, augmentant le nombre de personne pouvant y entrer en même temps. Le fond de ce bain fut remplit de petits galets noirs, afin de masser la plante des pieds des baigneurs devant chaque jour marcher longtemps à travers les montagnes.

 

Aujourd'hui, deux grand-mères en tenue d'Eve y pataugent en papotant gaiment.

Si Yumiko à de l'eau jusqu'au épaules, je ne suis immergée que jusqu'au-dessous de la poitrine. Je ne suis pourtant pas plus grande que la moyenne des filles ici, du haut de mes 1 mètre 66. C'est dire si la population japonaise a grandi depuis 200 ans. A moins que ce ne soit parce que les filles d'aujourd'hui portent toutes des chaussures à talons, parfois à faire pâlir un drag-queen.

 

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Et puis pour se remettre de toute cette détente, nous allons manger de l'anguille. Moi j'adore l'anguille. Ca me rappelle les étés en famille au bord de la Charente.

 

 

 

 

De routes de montagnes sinueuses, en col verdoyants, de panoramas surplombants de larges vallées, en champs encore enneigés, je m'endors dans la voiture bercée par le roulis. Lorsque nous arrivons à nouveau en vue de la grande maison centenaire qu'est l'auberge de Yumiko, nous avons parcouru près de 250 kilomètres en une journée.

 

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M'installant au bord de la rivière en profitant des derniers rayons de soleil de cette longue journée, je trempe mon pinceau dans l'onde pour diluer mon aquarelle.

 

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J’ai été arrêtée par l'heure du repas.

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