Cela fait tout juste deux mois et demi que je suis rentrée en France, mais cela me semble une éternité. Et ce visa de travail pour le Japon qui me rend chèvre...

 

J'ai tout laissé en plan là-bas.

Mon boulot sans remplaçant, mon appart, mes plantes vertes et mes colocs. J'ai continué à payer le loyer, pour avoir un endroit auquel retourner. Pour la première fois depuis mes 18 ans, j'ai trouvé quelque part un lieu géographique et matériel auquel je me sens appartenir. Au moment de partir, l'idée de le détruire en mettant fin à mon bail m'a été insupportable. Même s'il m'a fallu bousiller le peu d'économies que j'avais réussi à garder des diverses bourses d'études reçues à l'université de Kyoto pour rassurer le propriétaire immobilier.

Le premier mois de retour est une promenade de santé. Ne sachant pas exactement quand je dois repartir, je vois un nombre extraordinaire de personnes en un temps très court. Pleine d'entrain, je reprends la course à pied, enchaîne les missions d'intérim, certaines plus épuisantes que les autres. Mais j'ai de l'énergie à revendre. 
 

Difficile de dire autant du deuxième mois. Alors que je pensais mon dossier bouclé, il semble que des pièces manquent. Je panique, rage, produis tant bien que mal les documents demandés. Planquée dans un bureau au calme avec des collègues aux petits oignons, je tente d'enrayer le fil de mes pensées pessimistes par une pratique accrue de PokémonGO sur les quais de Bordeaux. Je regarde avec angoisse la fin du mois de novembre arriver. Pour des raisons diverses, impossible de me résoudre à passer l'aube de la nouvelle année en France.

Une fois un pied dans le mois de décembre, il faut bien me rendre à l'évidence : même dans le meilleur des scénarios, le temps jouera en ma défaveur pour arriver à Nagoya avant la fin de ma réserve de loyer. Tentant le tout pour le tout, j'envoie un message désespéré à la secrétaire de ma boîte japonaise, pour avoir des nouvelles.

- Tu tombes à pic !
Le facteur doit arriver d'ici 30 minutes avec une lettre du bureau de l'immigration !

#IlFallaitDemander

Les premières 30 minutes du reste de ta vie.

Durant ces trente minutes de tension digne d'un James Bond sous triple dose de caféine, je parcours comme une folle les comparateurs de billets d'avion. Nous sommes le 5 décembre. A mon grand désarroi, les prix s'envolent dès le 11 décembre, et ils ne redescendent pas avant le 10 du mois de janvier. Bien que mon budget soit séré et que les fêtes approchantes ramènent avec elles cousins lointains, amis expatriés et famille adorée au bercail, un gyrophare embrasé aveugle mon cerveau. L'idée de passer un mois de plus loin de chez moi me rend malade.

Ces trente minutes me consument. Je me débats avec une culpabilité immense, tiraillée entre mes racines et mes feuilles vertes. Jesus-Marie-Joseph-Perceval-Clarence ! LA ! Une ouverture ! Un vol de rêve à un prix défiant toute concurrence le 20 décembre.
- "Pose une option ma biche, tu ne sais toujours pas ce que contient cette fichue enveloppe." Me susurre mon inconscient. Avec un peu de chance, c'est soit une lettre demandant des documents supplémentaires, soit une notification de rejet.
- Merci, c'est exactement ce que j'ai besoin d'entendre. C*****d."

Autorisation accordée. Faites en bon usage.

Signé : Le bureau de l'immigration japonais.

- HAHA ! 

"Allo maman ? J'ai mon visa. Je pars dans 15 jours."

Si mon entourage semble surpris de mon envol à un moment pareil, je ne reçois en revanche que des félicitations et des encouragements. Ma famille est formidable. Il faut dire que je ne suis pas la première expatriée de la dynastie. Issue de deux vieilles familles de marins, je possède des grandes tantes aux USA et aux Canaries, une irréductible soeur maternelle au Canada, et mes cousins se donnent à coeur joie d'explorer l'Allemagne, le Liban, l'Australie ou le Maroc, tandis que ma soeur vadrouille en Nouvelle Zélande et en Irlande. Autant dire que mon départ ne surprend personne. 

Par contre dans ma tête, c'est la débâcle. Partir dans 15 jours, cela signifie boucler un nombre cyclopéen de tâches plus ou moins entamées tout en sacrifiant au moins 3 jours à Paname pour récupérer le susdit visa et deux jours à Lilles pour câliner une dernière fois ma meilleure amie. 

 

 

Faut qu'on s'organise, Faut qu'on s'organise.

Travail d'Atalante N°1 : Le rangement.

Cette fois-ci, je pars. Entendre : Je m'installe au Japon. Le tri de mes affaires d'enfance, dont le nombre réduit doucement avant chacun de mes allers-retours à l'étranger, prend un tour décisif. Il faut catégoriser : 
- La quintessence des souvenirs, ceux dont il est impossible de se séparer quel qu'en soit le prix.
- Ce qui reste en carton pour d'éventuels rejetons futurs et autres bambins en pension.
- Ce que je ferais venir à l'autre bout du monde le jour où je dégotte une vraie baraque.
- Le reste, bon débarras. 

La collection de manga prend cher. Près de 15 ans de collectionnite partagée avec ma petite soeur, pour un chiffre approximatif (selon Manga Sancutary) de 600 volumes tous genres confondus. Je ne garde qu'une cinquantaine de volumes, ceux que j'aime assez pour penser à les mettre un jour dans mon colis intercontinental. De son côté, c'est une centaine de livres qui va rejoindre tranquillement les cartons bien scellés dans le garage. 

 

Travail d'Atalante N°2 : Assurance et autres réjouissances

Entre le pôle emploi qui s'acharne à me trouver des postes de cuistots, la sécurité sociale qui refuse de me rattacher à l'assurance parentale, la banque qui décide que ma carte gold n'assurera plus de retraits gratuits à l'étranger, et la lettre contenant le document officiel permettant de réclamer mon visa à l'ambassade du Japon à Paris qui refuse d'arriver, je tourne en bourrique.
Heureusement, il y a maman. Rien ne saurait arrêter la mère dynamique d'une tracassée chronique, allant jusqu'à patrouiller en voiture dans le quartier pour intercepter le facteur, poursuivant le fuyard jusqu'au centre de tri. Véridique.

Travail d'Atalante N°3 : Fest Noz de Paname

Ni une, ni deux, je saute dans le bus de nuit pour Paris, mon passeport séré contre le coeur. C'est une relique. Il contient déjà de multiples tampons et deux autocollants brillants : Trois séjours au Japon, dont un visa vacances travail et un visa étudiant. Le jour où il faudra en changer, je préfère payer à nouveau pour cause de document perdu dans un cadre sur mon mur. A l'ambassade, je fanfaronne. Le guichet n'a plus de secret pour moi. 

Travail d'Atalante N°4 : Séance potins

Profitant du délai d'obtention, je file à Lille retrouver ma fiancée d'amitié pour une dernière séance de fous rires en direct avant de rebasculer sur Skype. Cependant, impossible en une journée et demie seulement d'engloutir les litres de thé et les kilos de parts de tarte que nous avons en retard. Le temps est assassin.

Travail d'Atalante N°5 : L'aurevoir au destrier

A peine revenue de Paris, voilà qui ne me reste que deux jours avant le départ. Je suis épuisée. Mais il y a une besogne colossale à achever : Vendre ma moto.

J'ai repoussé l'échéance jusqu'au dernier souffle, sans comprendre à quel point je m'y étais attachée. Ma première véritable machine. L'été dernier déjà, j'ai voulu m'en séparer à distance. Mais une belle crise d'angoisse à peine vingt minutes après un véhément discours de femme émancipée à mon paternel, m'a fait revenir vite fait sur la décision. M'en séparer, c'est sectionner délibérément l'une des plus grosses ancres de ma vie française. C'est aussi libérateur qu'effrayant, aussi douloureux qu'important. J'amène ma Yamaha chez le revendeur comme on mène un cheval à l'abattoir.
Adieu mon adolescence, ici commence ma vie d'adulte.

Travail d'Atalante N°6 : Adieux et retrouvailles

Le chat qui louche à l'air bien plus à l'aise avec ses croquettes au magret de canard du sud-ouest que dans une soute d'avion, soit. Il restera au pays du vin et des huîtres. 

Me reste à embrasser veaux, vaches et cochons et remplir mes deux valises avec ce qu'il me reste d'affaires sans tenir compte des triples étagères de livres impossibles à embarquer.

Méandres d'une tracassée

Travail d'Atalante N°... C'est déjà pas mal, tu ne crois pas ?

C'est vidée, perdue et endeuillée par la braderie de mes souvenirs dans un temps trop court que je m'envole le 20 décembre pour Nagoya.

Bonne surprise, le billet d'avion réservé en dernière minute m'offre un vol en classe premium. Je ronronne d'avance à l'idée de retrouver mon nid douillet et mes douces habitudes nippones, câliner mes amis et chérir le fruit de mes efforts.

Car après tout,

Que ne déplace-t-on des montagnes
si ce n'est pour apprécier le paysage ainsi dévoilé ?

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