Epopée hardie par la Meishin
10 août 2016Cette semaine, j'ai déménagé de Kyoto à Nagoya. Et ce ne fut pas une mince affaire. Mais je pense pouvoir affirmer après coup, qu'une bordelaise dégourdie est tout aussi efficace que des déménageurs bretons.
("Meishin Expressway", autoroute reliant Osaka à Nagoya)
Cervelle d'oiseau et coeur de dragon
Les cours à l'Université de Kyoto ayant pris fin, je doit maintenant songer à changer une nouvelle fois d'appartement et de ville en direction de mon prochain lieu de travail : Le Glocal Backpacker Hostel à Nagoya. J'ai été recrutée par un ami de longue date, et je m'en vais accueillir le baroudeur étranger pour lui offrir un lit douillet et une bière fraiche. Mais nous parlerons de cela en détails une autre fois.
Mon principal souci et de transporter mon vélo de Kyoto à Nagoya, ainsi qu'un set de futon (comprenez matelas, couette et oreiller) énorme, en plus de ma valise de fringues et quelques cartons au contenu éclectique. Le tout avec un budget limité bien entendu.
Alors j'ai une idée folle : Moi qui n'ai jamais conduit sur les routes inversées du Japon autre chose qu'une moto (et encore, bien encadrée), j'ai décidé de louer mon propre camion. L'image me traverse l'esprit un soir d'été alors que le bus, me ramenant d'un rendez-vous galant et hasardeux, fend une pluie battante. Laissant mon esprit dériver au grès de relents d'un vin italien dont le nom m'a semblé tout-à-fait exquis quelques heures plus tôt mais dont je regrette maintenant l'absorbtion, je pense aux évènements à venir et à ce déménagement qui me tracasse.
Je dois arriver dans une colocation toute neuve, administrée par la même compagnie que trois ans plus tôt. Tellement neuve, que j'ai du choisir ma chambre uniquement d'après les plans de l'appartement en travaux. Tellement neuve, que le bailleur n'est même pas sûr qu'elle soit terminée pour mon arrivée. Tellement neuve, que je vais débarquer dans le dénuement le plus total. Rien à voir avec ma jolie maison cosy à Kyoto, où des générations de colocataires rentrant au pays ont laissé divers ustensiles utilisable dans un panel quasi-infini de situations de la vie pas-si-courante. A Nagoya, à part quelques fournitures basiques, il y aura tout à améliorer. Afin de dépenser le moins possible, j'ai donc tout interêt à embarquer le plus possible.
C'est à ce moment précis de mes divagations soules, qu'un point lumineux attire mon attention à travers les vitres embuées, les trombes d'eau et le roulis vertigineux de mon catamaran en pleine tempête dans la nuit épaisse. Comment le discernais-je, ce détail dans l'obscurité, me demanderez-vous : c'est un mystère. Mais toujours est-il que cette lumière, verte qui plus es, émane de la solution miracle : L'enseigne néon de la chaine de location de voiture Toyota Rent A Car.
Penses-y encore, mais sobre cette fois
Plus les semaines passent, plus je suis persuadée que c'est la meilleure solution. Après tout, j'ai mon permis international, je conduisait pas mal en France, et la route vers Nagoya est une nationale à péage quasiment droite. Le seul détail qui me chiffonne, c'est la conduite à gauche. Après quatre mois passés dans le pays, je commence tout juste à regarder du bon côté avant de traverser. Mon escapade à moto du mois de mai, ne compte pas: Je n'avais qu'à suivre le motard de devant sans me poser d'autre question que "le paysage est-il plus époustouflant à gauche ou bien à droite ?".
Je fais mes calculs : faire appel à une compagnie de transport n'acheminer que mon vélo, me reviendra au même prix que de tout déménager moi-même. Saperlipopette, c'est décidé, je vais louer un de ces petits camions bennes, et trouver un copilote aguerri comme garde-fou.
Sauf que. Pour bénéficier de meilleures conditions de circulation possible entre deux rush de salariés en voitures carrées et d'une route aussi dégagée qu'une piste de bowling, j'ai décidé de déménager un mardi en journéeEn conséquence de quoi, toute personne possédant les compétences nécessaires pour me venir en aide, manque en revanche d'un emploi du temps compatible. Dramatique.
Pourtant loin de me laisser abattre, je decide qu'il n'y a pas de raison que cela ne fonctionne pas. Je suis une angoissée certes, mais une angoissée téméraire.
Maréchal, nous voilà
Le jour J, je m'en vais récupérer le joli camion léger qui m'est réservé. Je souri aimablement à la dame de l'accueil, priant pour que mon visage ne trahisse pas mon anxiété. S'ils découvrent que je panique comme une folle, il vont me faire payer une assurance hors de prix, j'en suis persuadée. J'affiche donc mon regard le plus serein en tendant ma carte gold de prétentieuse, avec le sourire de celle qui à fait ça toute sa vie, et qui n'est plus à une location près. Peuchère.
Lorsque l'employé me demande de faire le tour du camion avec lui pour un état des rayures avant le départ, je lui fait remarquer les moindres bosses, espérant vainement diminuer l'importance des immanquables éraflures à venir.
M'installant au volant, je remercie le ciel et ma soeur et sa clio automatique rouge affectueusement affublée du surnom de cacahuète, pour l'experience de conduite sans levier de vitesse. Heureusement, les pédales d'accélérateur et de frein sont dans le même ordre. Je démarre doucement, avec l'impression de repasser une seconde fois mon permis de conduire. Sauf que je suis à la fois l'élève et l'examinateur. D'ailleurs, j'échoue lamentablement avant même de sortir du parking: Les essuie-glaces deviennent fous, mais le clignotant refuse de s'allumer. Ah, tiens, ces leviers là, par contre, sont inversés. Pourvu qu'il ne pleuve pas, pourvu qu'il ne pleuve pas... Avant de tourner sur la grande avenue, je remarque dans mon rétroviseur l'air anxieux du loueur de voiture qui vient certainement de comprendre ma supercherie. Trop tard.
Rentre le ventre, serre les fesses, je te dis que ça passe.
Avant même que mon périple ne commence vraiment, je doit faire face à la partie la plus périlleuse du trajet : Les rues étroites de Kyoto. La ville compte nombre de ruelles dont les maisons au bord à bord ont obligé les autorité à place les poteaux télégraphiques directement sur la chaussée. Il faut donc slalomer entre. A certains endroits, la voie praticable devient même si étroite qu'aucun autre gabarit que Smart, ne peut s'y faufiler. Je l'ai appris aux dépends d'une amie venue gentiment livrer mon vélo en mars dernier avec son monospace. J'ai cru mourir de culpabilité.
Heureusement au Japon, comme en France, tous les habitants du voisinage sont capable de donner les indications en même temps.
J'ai par conséquent choisi le camion le plus petit que j'ai trouvé dans le catalogue du loueur.
Une fois le chargement terminé, la tension monte. Ce n'est pas rentrer dans ma ruelle qui est compliqué. C'est d'en sortir. Je visualise maladivement la portière rayée, le rétroviseur arraché et l'aile enfoncée coutant le reste de mes économies, m'empêchant certainement à ne me nourrir que de mes fonds de placards... Ce qui dans mon cas, à la reflexion, devrait me laisser tout de même un certain moment hors du besoin. Lorsque mon propriétaire me propose de s'en charger à ma place. "Oh, que c'est gentil, mais je ne voudrais surtout pas vous déranger..." (Vous êtes mon héros, puis-je vous offrir un Pikachu ?)
Chacun sa route, chacun son chemin
Franchement, une fois sortie de l'agglomération, tout se passe comme sur des roulettes. Seul bémol peut-être, la radio hors d'âge de la camionnette qui s'obstine à sauter tous les kilomètres vers une station émettant une musique traditionnelle japonaise hypnotique. Pas que j'ai quoi que se soit contre les chants anciens, le koto et le shamisen, mais c'est plutôt malvenu entre deux refrains de pop américaine et ma tentative grossière de concentration continue.
Le temps est au beau fixe, ma jauge à gaité suit le mouvement. J'ai le sentiment grandiose d'être en train franchir un cap de ma vie dans l'archipel. Moi qui me faisait une montagne de ce changement de ville, je réalise comme toujours qu'il n'y avait pas de quoi faire un fromage bio mi-brebis mi-vache aux graines cumin. Plus que jamais, je réalise quelle chance j'ai d'avoir la capacité de me mettre moi-même de bon coups de pieds dans le derrière.
J'arrive à Nagoya à l'heure prévue. Le propriétaire est en retard, certaines choses ne changeront jamais. Mais je m'en contre-fiche. J'ai la pêche. En deux minutes, la benne est déchargée, et mes affaires entassées devant la porte du 5ème étage. Mais oui, avec ascenseur, vous me prenez pour Mc Gyver ?
Quand la gaité te joue des tours
La paperasse et le tour de l'appartement réglé, je m'attelle à défaire mes cartons. Pleine d'entrain, j'ouvre ma valise, installe mon lit, commence à décorer le mur. Au moment de placer mon horloge qu'une chose me turlupine. Il est 15h22. Mmh. Non, rien de particulier. Voulant attraper la pièce de 100Yen dans ma poche avant de l'oublier, mon coeur manque un battement. Diantre ! Le camion ! Il faut absolument que je le rende avant 16h00 !
L'esprit complètement embrouillé par mes distractions d'apprentie architecte d'intérieur, j'embarque mes papiers et retourne en vitesse sur le parking. Sacrénom d'une carabistouille, il faut aussi aller faire le plein ! Je m'installe sur le siège brûlant, plus tout à fait sûre de savoir comment conduire ce machin à nouveau. Febrile, je tapote mon clavier virtuel à la recherche de la station service la plus proche. Le fichu logiciel me propose un bureau de poste, une antenne de radio, une station de lavage, mais rien en rapport avec de l'essence. Je panique, j'ai chaud.
Stop. On se calme.
1. Mettre le contact.
2. Démarrer le moteur.
3. Mettre la clim à fond.
Souffle. Respire. Essuie la sueur sur ton front. D'accord, là déjà, ca va mieux.
4. Sert toi de ta tete. Comment dit-on "Station Essence" en japonais déjà ? Ah, oui "Gassoline sutanndo"
5. Génial, il y en a une dans le quartier.
Je redémarre prudemment et en moins de dix minutes, le plein est en cours de réalisation. 15h46. J'en profite pour chercher l'emplacement exact de la concession Toyota où j'ai prévu de ramener le camion. Je l'ai choisie exprès car elle ne se trouve qu'à quelques pâtés de maison. Impossible de la trouver sur la carte. Je re-panique. Respirant à fond, je hèle le pompiste. Il me regarde d'une drôle de façon. Bouse. J'ai du me tromper quelque part. Où que soit ce fichu magasin, je n'y serais jamais à temps..."Elle est dans votre dos madame."
Ah, oui tiens.