N'oublie pas qui tu es
08 mai 2016La première semaine du mois de mai s'appelle ici la "semaine en or" ou Golden Week, car elle comporte 3 jours fériés. A l'instar de milliers de japonais qui partent en vacances, je profite de cette belle opportunité pour réaliser un rêve de longue date : Voyager en moto au Japon.
Les chats ne font pas des chiens
Née dans une famille de motards, j'ai eu la chance de passer une enfance faite, entre autres, de weekend campings entre bikers, d'arrivées ultra classe en side-car a l'école et de pétrolette d'entre-deux guerres enguirlandée au milieu du salon en guise de sapin de Noël.
A la pocket-bike aux stickers Harley Davidson de mes 4 ans succéda une mobylette bariolée, suivit de près par une 125 à l'âge de 16 ans, m'offrant une adolescence au goût de liberté. Je n'ai passé le permis voiture qu'à contrecœur, l'engeance familiale m'ayant interdit le toute-cylindrées sans obtenir au-préalable le permis des masses carrées. L'un en poche, je me suis empressée de passer l'autre. J'avais 19 ans et déjà un véritable fan club sur le parking du lycée. De retour en France après un an passé à Nagoya, j'ai fait l'acquisition d'une fiable Yamaha XJN, qui m'attend aujourd'hui sagement et bien au frais dans un garage entre BMWs et Harleys familiales.
Jusqu'a présent, chaque excursion hors des villes japonaises par temps bleu a mis sur ma route des hordes de motos, toutes tailles confondues. Rien de plus doux à mes oreilles alors que le concert de claquements des levier de vitesse au démarrage en fanfare devant les temples, la pétarade des pots d'échappement se répercutant sur les tronc des cèdres ou bien le cliquetis des cylindres surchauffés refroidissants sur une aire de repos à l'ombre de la montagne.
Rien de plus douloureux non plus.
Passe le message à ta voisine
Lors d'un séjour à Bordeaux, Tomomi, quarante ans sous ses airs d'adolescente épanouie, découvrit que les femmes aussi avaient le droit aux sensations du deux roues, propos habillement appuyés par une excursion ensoleillée vers le bassin d'Arcachon pour se gaver d'huîtres. De retour au pays du sukiyaki, notre téméraire nippone passa avec brio son permis moyen cube et commença à kiffer-sa-race apprécier les joies de la moto grace à une paire de talons homologués permettant à ses pieds minuscules de toucher le sol. Un voyage en France plus tard, elle put ainsi profiter de l'une de nos machines pour retourner se dorer la pilule en haut de la dune du Pilat, et recevoir nombre de conseils éclairés de mon vieux loup-de-père, qui lui fit gentillement experimenter en passagère, la douceur d'un mastodonte de chrome et d'acier lancé à grande vitesse sur une autoroute normalement limitée à 130km/h.
Cette même Tomomi encore un fois de retour au pays de la tarte à la baleine, fini par se constituer un petit groupe d'amis passionnés comme elle de jolies nationales à 40 à l'heure. En effet, une rencontre fortuite sur un plat entre deux virages lui fit croiser le chemin de Tomomi Bis, roulant sur l'exacte machine au boulon près, habitant la même circonscription de Tokyo, et dont le mari mécano devint le gourou de la bande bientôt rejointe par deux autres lurons.
C'est donc grâce à ce groupe d'enfer et d'une 250 Estrella Kawasaki prêté par Tomomi Bis, que je peux enfin m'élancer, mercredi 4 mai 2016, sur l'asphalte japonais. Bien encadrée par mes camarades tout au long du périple, j’en oublie presque que je conduis à gauche. J’ai bien pris soin de lire les différences du code de la route japonais et de jouer le jeu avec mon vélo pendant quelques semaines pour m’habituer, mais je me retrouve parfois perplexe au moment de tourner à un carrefour. Heureusement que je n’ai qu'à suivre notre Road-Captain, parce que je passe une grande partie du trajet à me lamenter sur les différentes plaques d’égouts que je vois défiler sans pouvoir les prendre en photo. A chacun ses manies.
Un circuit de grande nature
Il n'est de secret pour personne d'éduqué géographiquement (en tout cas pour ceux qui ont étudié la mégalopole japonaise en sujet de bac), que japon est un pays montagneux, dont la population est coincée sur le peu de terrain restant, menaçant à chaque seconde de basculer dans l’océan comme un pschitt de chantilly en trop sur une île flottante. Ce que vos professeurs vous ont cependant caché délibérément, c'est que le pays du soleil levant est aussi fait de petites routes sinueuses aux panoramas époustouflants. Partout dans le pays (exception faite de la capitale peut-être) il suffit de monter dans le premier train venu et avant avoir le temps de mettre en route votre baladeur mp3 sur le Best-of de Jean-Jacques Goldman, le paysage se changera subitement en campagne profonde; soit au milieu de rizières, soit au milieu de plantations d'arbre à thé vert, soit au milieu de champs de sarrasin, soit au milieu d’insondables forêts de conifères, mais surtout au milieu de nulle part. Ce qui pour ma part, équivaut un peu à l'entrée du paradis.
Partant de la banlieue est de Tokyo, nous faisons route vers Yamanashi, la préfecture qui possède la partie nord du Mont Fuji. Pleine semaine de printemps, le vert vivifiant des bourgeons nous saute aux yeux entre deux tunnels sur les routes escarpées suivant le relief. Dès le début, je m'émerveille devant la propreté du bitume. Malgré les neiges hivernales et les pluies diluviennes qui frappent régulièrement l'archipel, pas un accroc, par un gravier de travers. A croire que les cantonniers ici pratiquent la méditation zen. Cependant, si tombez sur un escargot, vous vous le farcirez durant des kilomètres.
Si ma petite cylindrée m'avait arraché un sourire ironique au début, je tombe vite sous le charme du moteur et de son réglage souple qui pardonne tous mes faux pas, grimpant sans effort les côtes les plus abruptes. Un vrai poney de montagne. Finalement la maniabilité, y'a qu'ça d'vrai.
Sur les routes de l'archipel, les petites machines ont la belle vie. Les limitations de vitesse ici sont réellement basses. C'est pour cela que personne ne les respecte. Les conducteurs japonais roulent en moyenne 15 à 20 km/h au dessus du chiffre indiqué sur les panneaux. Ici pas de radar automatique, il faut rouler comme un chauffard pour se faire arrêter. En revanche, une fois face au montant de l'amende, il y a fort à parier que vous regrettiez amèrement de ne pas pouvoir faire de crédit à votre banque. Le pays pratique notamment la tolérance zéro-défaut pour ce qui est de l'alcool au volant. Vous supplierez plutôt l'homme aux Ray-bans de retirer votre permis et de confisquer votre véhicule pour avoir osé commander un verre de saké dans le but de mieux digérer votre plateau de sushi, plutôt que d'avoir à payer le montant exigé.
Mais consciente que le numéro de plaque n'est pas à mon nom, je suis notre leader avec allégresse.
Qui vivra verra
Et soudain, au détour d’un col, sa majesté tout-en-neige fend le décor dans un flegme olympien. Tout comme personne ne peut se considérer Londonien sans avoir entraperçu au moins une fois l’Elisabeth nationale, on ne peut prétendre avoir voyagé au Japon sans avoir vu le Mont Fuji.
Dans sa robe bleue indigo voilée de blanc au milieu d’un somptueux écrin de feuilles tendres, la montagne sacrée nous contemple. J’ai la soudaine envie de battre le fameux record des 36 vues dudit volcan, établi quelques siècles auparavant par un vieux fou de dessin.
Mais nous redescendons bientôt dans la vallée suivante afin de prendre un repos bien mérité dans un hôtel avec source en plein air. Après un copieux repas traditionnel, un kimono de coton en guise de pyjama m’accueille au sortir de deux heures de fondue japonaise : gloire aux sources chaudes. Après avoir gagné ex-aequo le loto organisé par l’établissement, puis perdu la première place à pierre-papier-ciseaux contre une gamine de 6 ans, je m’effondre sur mon futon, peinant à trouver le sommeil dans cette chambre où notre bande de bikers dort côte-à-côte comme des filets maquereaux à la sauce soja dans une boite au slogan mysterieux.
Roule ta bosse
Le matin arrive trop tôt à mon goût mais aussi trop tard, car pour les moustiques le buffet à volonté à été servit bien avant le nôtre. Je profite cependant d’un plateau complet de fruits et légumes avec un bol de riz en guise de petit-déjeuner, tandis que mes compagnons se délectent de charcuterie et de pain. Qui est qui déjà ?
Choix est fait de se rapprocher de la montagne de sérénité pour rentrer par la route qui longe les cinq lacs. Entre deux poses photo, je me délecte de glace à la myrtille et de café au lait dont la portion de crème n’a rien à envier à la production annuelle d’une vache normande.
De temps en temps le Mont Fuji apparaît comme par magie dans mon rétroviseur, et je salue le temps magnifique qui nous guide jusqu’au retour à Tokyo. C’est un peu à contrecœur que je rend mon fidèle destrier fourbu (mais pas autant que mon…) à Tomomi Bis, attendant déjà les vacances d’été avec impatience.