Tremblez, terrestres
17 avr. 2016"Ah, ça c'était une chouette soirée entre étudiants" pensai-je jeudi 14 avril, 21h et des brouettes, avant que mon portable émette un son strident, instantanément relayée par tous les passants alentours.
Je sursaute. Ah oui, c'est vrai, j'ai installé "YurekuruCall", cette application qui prévient quelques secondes avant un séisme de grande ampleur. Le temps se fige alors, chacun attendant que le sol se mette à trembler. Rien ne se passe. C'est probablement une fausse alerte.
Pourtant en regardant le bulletin d'information en ligne, je comprend que si les secousses ne sont pas arrivées jusqu'au centre du Japon, elles ont bel et bien frappé la grande île du sud. Rentrée en vitesse, j'allume ma télé sur la chaine nationale. Les images de la ville de Kumamoto apparaissent à l'écran. C'est le premier tremblement de terre dans cette région depuis longtemps, et personne ne s'y attendait à cet endroit là.
Il y a dans l'archipel japonais, des régions qui sont sujettes à des séismes mineurs chaque année, et l'on sait que certaines villes sont traversées par des failles sismiques. A Nagoya, j'avais expérimenté une secousse de l'ordre de 5 sur l'échelle de Richter, alors que je me trouvais au 12 étage d'un building. L'expérience, m'avait arraché un sourire, aussitôt effacé par la taloche reçu de l'employé furibond qui m'intimait de me réfugier sous une table à grand renforts de jurons. Le Japon compte encore quelques volcans en activité comme le Mont Ontake ou le Mont Aso, et l'éruption légendaire du Mont Fuji qui détruira le Japon fait couler autant d'encre qu'une apparition de Nessie dans le jacuzzi de la reine d'Angleterre. Toutes ces particularités géologiques sont bien sûr sous haute surveillance et la population japonaise est bien entrainée.
Mais ce jour-là à Kumamoto, c'est la surprise générale.
Le lendemain à l'université, on se renseigne, l'un d'entre nous à t-il des proches dans la région touchée, une grand-mère, un poisson rouge ? Toute la journée, l'application de mon portable me signale de nouvelles secousses, moins fortes, toutes localisées sur l'île de Kyushu. Ce sont des répliques, le véritable cauchemar du séisme. Car chacune d'entre elle continue le travail entamé par la précédente, entrainant glissements de terrains et chûtes de trésors nationaux. Rentrer dans une maison entre deux secousses pour récuperer la photo de famille ou une paire de chaussettes revient à signer sa convention obsèque avant l'heure. Les transports sont stoppés, les routes fermées, les écoles réquisitionnées et bondées. Le ministère français des affaires étrangères demande aux touristes d'éviter la région. Mais à la manière japonaise, la vie continue.
Le petit écran-large nous montre surtout, au milieu du désastre dont le bilan s'alourdit d'heure en heure, à quel point le peuple nippon est soudé, préparé et calme. Pas un cri, pas une larme. Les renforts sont déjà sur place et pleinement efficaces semble-t'il. La distribution d'eau et de riz cuit à chaque point de ravitaillement se fait dans une sérénité totale. A Tokyo, un magasin qui vend des produits de Kumamoto est pris d'assaut: chacun veut encourager l'économie de l'île du sud, les pourboires pleuvent par billets de 10000Yen.
Il est dit que Kyoto, quant à elle, fut fondée par un obscur seigneur moyen-âgeux qui avait compris que la région, entourée par des montagnes était particulièrement épargnée par les tremblements de terre. Bien lui en prit.
Alors que le sud du Japon peine à trouver le sommeil entre deux alarmes, je me réfugie successivement dans un restaurant de sushi tournant, un karaoké et un bain public brûlant en compagnie de grand-mères en tenues d'ève.