Les 4 vies de Rill - Partie 3

Après une sortie triomphante de mon BTS Tourisme, viens l'étape suivante : une licence professionnelle. Je cherche quelque chose d'assez large, plutôt orienté vers le commerce, afin de rendre mon profil le plus attirant possible. Mon but est toujours le même : décrocher un visa de travail dans l'archipel, pour enfin bénéficier d'une date de retour optionnelle !

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Toujours droit devant

Mon choix se porte donc sur une formation mêlant commerce et inter-culturalité, dispensée par l'Université de Bordeaux. Le cycle se déroule en trois parties : Un semestre en France, un autre en université partenaire et 15 semaines de stage. Ce cursus providentiel me fournira de nouvelles compétences interdisciplinaires que sont la gestion de projets, la logistique, le management stratégique ou la négociation, m'assurant une polyvalence idéale pour nombre de postes à l'étranger. 

Mais déjà un problème se pose : Contrairement à 80% des candidats sortant tout droit de BTS Commerce International, je pars avec un sacré handicap. Si je rentre dans cette formation, je devrais rattraper en 3 mois les deux ans que j'ai manqué, tout en restant au niveau... Cependant, portée par des proches presque plus motivés que moi, je monte mon dossier avec la précision d'un architecte suédois.

Après tout, contrairement aux 80% de candidats, j'ai plus d'une expérience de travail à mon actif, dont près de la moitié à l'étranger, voilà la base de l'édifice. Quelques années de plus que la moyenne et un projet professionnel ultra-cohérent servent de murs solides. Une certaine aisance en langue étrangères et une facilité à l'apprentissage me permet de poser une jolie charpente, aussitôt recouverte par des tuiles de motivation rutilantes. En guise de papier peint, je choisi de faire l'acquisition de deux manuels de BTS Commerce International que je potasse avant même que les entretients n'aient commencés. Et je meuble le tout avec ma compétence "réponse-à-tout". Je bénéficie même d'un éclairage de qualité en la personne de ma professeure d'allemand fétiche qui intervient aussi dans la formation. Un véritable show-room Ikea : Pas un truc ne dépasse.

Ca fonctionne. Ô Joie !

Les trois premiers mois de la formation se déroulent en France avec un rythme relativement soutenu. Et pour cause : La suite de la formation devra se dérouler dans une université étrangère. 

Le bout du tunnel

Voilà, vous avez compris. On m'a fait miroiter le Japon. "Il y a une place tous les deux ans, et on en a pas eu l'année dernière..." M'a t-on susurré lors des portes ouvertes. Autant dire que j’attends avec impatience la publication de la liste des universités partenaires qui fluctue chaque année. Garre à celle ou celui qui décide de se mesurer à moi ! Ah bon ? Personne d'autre ne veut aller au Japon ? Ben ça alors...

Les professeurs me voient tellement sur la brèche que l'on m'averti la veille de la publication officielle : Il y a bien une place au Japon. Mais je doit faire vite car que j'ai que 5 jours (dont un samedi et un dimanche) pour monter un dossier conséquent : Formulaire d'application, lettre de motivation, CV, lettres de recommandations ainsi qu'une batterie de test médicaux complexes comprenant entre autres une radio des poumons !

Cependant le jeu en vaut mille fois la chandelle : L'Université en question n'est autre que la deuxième faculté la plus renommée d'Asie, celle de Kyoto. Le partenariat vient juste d'ouvrir, si je m’inscris je serais la première élève de l'Université de Bordeaux à en bénéficier. Les élèves en licence de Japonais n'ont pas encore débuté les cours, je suis donc seule sur la ligne de départ. OH YEAH.

YES !!!

YES !!!

Cependant le compteur "5 jour chrono" affiché en chiffres numériques rouges est en marche dans mon cerveau. Tic. Tac. Tic. Tac. Je le réduit même volontairement à 4 pour pouvoir pallier à tout imprévu. Mon taux d'adrénaline est à son maximum. Durant les deux jours de weekend, je me procure tous les documents obtenables hors administration. Je vais même jusqu'à traduire moi-même une lettre de recommandation avec l'accord de la professeure en question pour gagner du temps. Dès le lundi matin, je file au centre médical étudiant et réussis à obtenir un rendez-vous de check-up complet pour le lendemain. Prodige. Le cabinet d'analyse sanguines de mon quartier, à la pointe de la technologie malgrès ses tapisseries fanées et son mobilier d'une autre époque, m'envoie en 4 heures mes résultats par SMS. Miracle. Celui de radiologie, répond à mes suppliques par une place entre midi-et-deux. Licorne ! Le mercredi matin, mon dossier part par Chronopost. Et il arrive intact moins 48heures plus tard. Hallelujah.

 

 

 

- "Hop, hop, hop, pas si vite ma jolie ! Ici ta conscience. Nous parlons bien du Japon, n'est-ce pas ? Dans ce cas-là, tu te doutes bien que cela ne peut pas être si facile. Rictus. Elle est mignonne !"

 

 

 

En effet. Nous sommes en octobre. A partir de là et jusqu'à mon départ, je vais recevoir presque chaque mois une liste de nouveaux documents à fournir, toujours dans un temps ridiculement court. 

En même temps, je travaille d'arrache pied pour garder la tête hors de l'eau en classe, tout en me rendant bien compte qu'il me manque des bases sévères. Afin de restée motivée, je choisi toujours des sujets qui me passionnent pour les rendus de rapport, sous prétexte de "renforcer ma spécialisation". Les professeurs se rendent vite compte que je suis monomaniaque. Mais là aussi, cela fonctionne. Dans les deux sens : Les concepts et autres applications théoriques entrent tous seuls dans mon cerveau, les notes positives suivent.

Et puisque ce n'est toujours pas assez, je décide également de m'inscrire au niveau suivant du test international de Japonais, le JLPT Niveau 3. Bien que mon niveau conversationnel n'ait rien à envier à undiplômé de Master de langue, mon niveau écrit lui est carrément à la traine. Après vérification, il semblerait même qu'il corresponde à celui d'un écolier japonais de grande section. De CE2 précisément. Le test se déroule à Paris en décembre, le weekend avant mes partiels. J'ai donc trois mois pour apprendre 400 caractères et une 20aine de règles de grammaire inconnues au bataillon, en plus du programme de commerce. Toujours plus. Je pratique donc une heure par jour, en décousu grâce à une application plutôt ludique téléchargée sur mon mobile.

Une semaine avant le test et les partiels, je suis au comble du stress. Impossible de manger correctement, je n'ai pas faim. Et puis de toute façon, je chope une bonne crève. L'idée de manquer de concentration autant que de mouchoirs durant le test de japonais me hante. Résultat, c'est avec une plaquette d'Actifed et une autre d'antistress entamées, trois paquets de mouchoirs et le summum de ma concentration que je rentre dans la salle d'examen. Pour les résultats, on repassera. Ils ne seront connus qu'en mars.

Les partiels se déroulent tant bien que mal. Et à peine les vacances de noël ont elles débutées, que je travaille déjà en usine, pour renflouer mes trois mois de vie sans salaire, l'achat de mes billets d'avion, une réparation coûteuse de moto et deux aller-retour chez le vétérinaire-pour-chat-qui-louche. 

Le départ est prévu pour le mois de mars, afin de pouvoir rendre visite à mes amis nippons avant la rentrée scolaire au mois d'avril. J'ai donc trois mois pour trimer d'arrache pied. Car bien que je soit exemptée des frais de scolarité exorbitants de l'archipel, il va sans dire que les 6 prochains mois à l'étranger vont coûter un bras et une demi jambe : Je serais étudiante et stagiaire, les deux meilleurs statuts de la planète.

Qu'a cela ne tienne, je redouble d'acharnement.

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Mais tu vas te calmer, oui ?

Pourtant au mois de février, mon corps me dit stop. A la fin de mon contrat d'intérim, à près d'un mois du départ, une flemme d'une taille démesurée s'empare de mon cerveau débordé. Une petite voix (composée des dizaines de timbres de mes proches) me dit que j'en ai fait bien assez jusque là, que tout est déjà prêt depuis des mois, et que franchement, je ferais mieux de profiter du temps qu'il me reste pour voir mes amis et récolter tranquillement le fruit de mon labeur.

Je me retrouve donc, Sans Activité Fixe, désœuvrée. J'ai tout à coup la désagréable sensation de m'être stoppée en pleine course, identique à cette l'inertie qui persiste au moment où l'on descend d'un l'escalator. Et en même temps, je me sens incroyablement mieux dans mes Docs Martins.

Récoltons, donc :

1. Le test de Japonais s'avère réussi, je l'ai passé à 68%, c'est respectable. 

2. Les colocs de Kyoto m'ont gardé de la place. En même temps, j'ai réservé en Octobre.

3. Mes partiels se sont déroulés à merveille, avec une moyenne de 14,5. Et tu ose encore dire que tu étais à la traine ?

4. J'obtiens une bourse au mérite de la région Aquitaine en prévision de mes études au Japon. Merci.

5. Je passe du temps avec mes amis, je sors enfin de mon antre d'études. Bref, j'ai une vie.

Et des lendemains difficiles ...!

Et des lendemains difficiles ...!

Prend la vague

J'ai l'impression de m'être enfin réconciliée avec moi-même. Tous ces souvenirs qui me faisaient tant souffrir à il y a deux ans, j'avais fini par les enfermer à double tour pour ne plus y toucher que lorsque je manquait de rage de vaincre. Mais tout à changé à force d'efforts. Je peut enfin chérir ses évocations de bonheur et de déboires, car je sais que je les retouverais bientôt. D'un seul coup, la porte s'ouvre en grand et une vague de chaleur m'envahit, chariant avec elle les voix, les odeurs, les images et les combats qui m'ont tant manqué. Je respire, enfin avec toute la capacité de mes poumons.

Japon, me revoilà.

J'embrasse une dernière fois mon chat-qui-louche, et je saute dans l'avion.

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