Le mois d'avril au Japon, c'est celui de la rentrée des classes, des cerisiers en fleur, des premières chaleurs annonçant l'été et des pique-niques entre amis. C'est le moment choisi pour débuter mes 6 mois d'échanges à l'Université de Kyoto.

Il est 6h30. Je suis doucement tirée du sommeil par la musique entrainante du "radio taiso" de la maison voisine. La grand-mère d'à côté est en train de pratiquer ses assouplissements matinaux, sur la mesure sautillante de piano émise chaque jour par la NHK depuis 1928. Le soleil est déjà haut. Il faut dire que nous ne sommes pas au pays du soleil levant pour rien : ici il se lève plus tôt que dans l'hexagone : deux heures en avance. Et souvent avec lui un chanteur irritant, le Hiyodori ou Bulbul à oreillons brun. Ce piaf à la voix stridente, qui chante parfois toute la nuit en été, me tape sur les nerfs. Mais pour le moment il vole ailleurs et seule la mélodie rythmée qui filtre à travers mon mur accompagne ma routine matinale.

Un yaourt aux céréales, un jus de légume et un toast au fromage plus tard, me voilà pédalant fièrement sur mon vélo rouge. A chaque coin de rue, des branches couvertes de fleurs blanches éclatent dans le ciel bleu. La saison des cerisiers bat son plein. Chaque jardin, chaque parc, chaque carré de verdure possède son arbre fleuri, comme un feu d'artifice synchronisé de pop-corn à la fraise tagada. L'air embaume le miel et la gaité. Au détour d'une ruelle, une brise soudaine fait osciller les rameaux, et une averse de pétales recouvre mon sourire béat.

Ascenceurs de Printemps

Je sais que j'atteint les abords de l'université au nombre de cavaliers à deux roues qui augmente de façon alarmante à chaque feu rouge. Au dernier croisement, alors que je m'attend à appercevoir l'enceinte en pierre qui ourle le campus, mon regards butte sur des pancartes. Il y en a des dizaines, de toutes les couleurs, peintes à la main sur d'immenses panneaux en bois. Sérieuses, colorées, originales, mystérieuses, drôles, improbables... Chaque club officiel de l'université à le droit d'accrocher sa propagande sur le trottoir. Il s'en trouve à toutes les entrées, et parfois sur plus de 200m. Au passage, je remarque à la volée la publicité très classe du club d'échec, celle pleine de couleur de la chorale jazz, celle du club de voitures sportives peinte sur un capo cabossé de Ferrari, une autre faisant l'apologie du Rubik-cube à grand renfort de jupes courtes.

Avant même d'atteindre les portes de l'université, j'entend de la musique. A droite de la route, l'entrée du campus sud où joue le club d'instrument traditionnel japonais. A gauche, l'entrée principale, où chante à cappella une chorale pop. Je descend de mon vélo, car la foule trop dense ne me permet plus de pédaler suffisamment pour maintenir un équilibre sans danger. Au milieu de la foule, des étudiants en uniforme me dirigent vers le parking à vélo. Des centaines de mètres de cycles de tous les gabarits, rangés aussi linéairement qu'anarchiquement. A Rome, fais comme les romains: J'écarte deux bicyclettes et case la mienne au milieu.

Et soudain, au détour d'une énième crépitation de pétales immaculés, apparait un chêne immense, derrière lequel dépasse la tour de l'horloge de l'Université de Kyoto. Mon coeur cogne dans ma poitrine comme une charge de cavalerie lourde à la bataille de Reischoffen.

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Mais avant d'avoir eu le temps de comprendre que je viens de réaliser un rêve de gamine lisant des mangas un mercredi après-midi, mon regard est attiré par les dizaines de tentes dressées de part et d'autre de la place centrale en effervescence. D'ailleurs, mon immobilité subite cause déjà un bouchon, mais personne n'à osé m'en faire la remarque. Je décide de suivre le flot dense d'étudiants qui file droit à travers les rangées de chapitaux. Les plus gros clubs de l'université y ont installés des stands et distribuent leur flyers à tous les vents. On reconnait chaque groupe à son uniforme de combat, sa veste de sport estampée, son costume traditionnel ou sa paire de lunettes de natation. Du coin de l'oeil, il me semble apercevoir quelque chose... OUI ! J'ai bien vu un sweat orné d'un poney. Il y a un club d'équitation au sein même de l'université ! Tout comme il semble aussi il y avoir un club d'escalade, de ski, de planche à voile et même de planeur, dont un exemplaire grandeur nature trône à gauche du chêne centenaire. Mais à peine ai-je le temps de voir disparaître le vêtement chevalin, que je me retrouve cernée de toute part.

"Hello-GutenTag-Bonjour ! Señorita, Where are you from ?!"

Les représentants de clubs sont bien les seuls individus de l'espèce japonaise qui n'ont pas peur d'aborder l'étranger. Je me retrouve soudainement submergée par les flyers qui fusent de toute part. Comme si le premier à avoir osé m'aborder avait déclenché une réaction en chaine, autorisant la distribution instantanée d'un exemplaire de chaque dépliant disponible sur le campus. En moins de temps qu'il ne faut pour dire "Okonomiyaki", je possède désormais un aperçu calligraphié de toutes les possibilités possibles et inimaginables. Sauf une. Le club d'équitation. Diantre.

Je décide de m'arracher de la foule pour me rendre directement au centre équestre, qui se trouve sur la zone nord. Au bout de 5 minutes, je suis complètement paumée. A chaque coin de bâtiment, de nouveaux recruteurs, de nouvelles performances artistiques ou chaotiques, de surprises et de drôlerie. Je ne sais comment, je me retrouve assise à écouter un adolescent me vanter les mérites du canoë. Sapristi-saussisse, ça commence bien.

Il est treize heure, les stands se démontent en un éclair, chacun rentre dans ses quartiers. LA ! Un sweat poney ! Je le prend en chasse. Il est bientôt rejoint par un autre, puis deux, puis quatre. Je suis le groupe à distance, vélo discret au milieu de l'allée en fleurs.

800 mètres plus loin, derrière les serres du club de botanique, apparaît une carrière de travail. Nous sommes toujours dans l'enceinte de l'université. C'est stupéfiant. Malgré un état général passable, il y a là une ligne de boxes bien paillés, une douche et une carrière multi-usage. Je continue à suivre le groupe qui fait semblant de ne pas m'avoir vu.

"Qui-sait, si on ne fait rien l'étrangère qui nous suit va finir par repartir comme elle est arrivée ? Tu parles anglais toi ? Non. He, moi je sais dire "Hello". Ah super, on est sauvé. Chut, elle va nous entendre. Mais de toute façon elle comprend pas, si ? Oh le flippe. Il est fou lui. Crétin."

Nous arrivons devant le club-house, qui comme dans dans tout bon centre équestre, est facilement repérable à son aspect plus que délabré. Autour sèchent pèle-mêle bandes de travail, licols et tapis de selles. Il a l'air de régner ici une ambiance de franche camaraderie et de douce vie étudiante. L'intérieur plus bordélique encore que l'extérieur. D'ailleurs, je suis persuadée qu'une carotte forée dans le tas à gauche de l'entrée permettrait de relater la vie du club depuis sa création. Mais pour le moment, le temps est suspendu : Des têtes sortent d'un peu partout, depuis l'encadrement des portes, jusqu'aux barreaux du garde fou du premier étage. On me regarde en chien de faïence. 

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Je décide d'engager la conversation avec le sourire. Immédiatement, la tension baisse d'un degré sur l'échelle de Richter lorsqu'on comprend que je parle la langue. Degré qui remonte aussitôt lorsqu'on comprend aussi que je souhaite m'inscrire au club. Les regards se croisent, cherchent le volontaire désigné d'office qui va devoir m'expliquer qu'en tant qu'étudiante de passage, les règles ne me permettent pas de faire partie du groupe. Seuls les élèves réalisant les 4 années sont autorisés à entrer au club d'équitation.

Ah oui, les règles. Je comprend. C'est dommage. Je garde le sourire mais ma commissure tangue sérieusement. Et mon coeur hurle.

Je gagne cependant un tour des écuries. Je tente d'amadouer mon commis d'office. Vous savez, je suis montée à cheval pendant presque 10 ans EN FRANCE. Oui parce que je suis FRANÇAISE. Je serais heureuse de venir vous aider, même sans monter. Juste pour le plaisir de partager une passion en commun... (et pouvoir arborer un sweat rouge marqué "Université de Kyoto - Club Equestre" avec un cheval dans le dos. Avouez, ça claque.)  Il à l'air déçu pour moi, ce qui me remonte un peu le moral. 

Une dernière gratouille et je repars sans me laver les mains, pour pouvoir respirer l'odeur nostalgique des écuries tout le long du trajet retour. Mais je bouillone. Je ne vois plus les recruteurs, je n'ai que faire des cerisiers, je me fous de l'horloge de grand-père, qu'elle brûle la souche de mathusalem ! La déception est aussi grande que la surprise qui l'a engendrée. Au club de canoë on me sort le même discours. Pareil à celui de natation, de volley-ball et même de calligraphie. Moi qui rêvais de sport fédérateur, d'union dans l'effort, d'amitiés indélébiles (et aussi de réseautage de club sponsorisé), je fais chou-chinois.

Sur le trajet du retour, le sac plein de flyers, de dossiers officiels d'orientation et d'inscription par dizaines, de messages aux nouveaux venus, de choix de cours, de carte de bibliothèque, de numéros de tuteurs, de livrets sur la vie étudiante, de dépliants de la police municipale sur le code de la route pour les vélos, de notification positive pour la bourse japonaise et de magasines touristiques, je réfléchis.  Les arbres en fleur des jardins du palais impérial et le temps au beau fixe calment peu à peu ma colère. De toute façon, aurai-je vraiment le temps de m'investir dans un club ? Pour les japonais, comme dans les grandes universités étasuniennes, il devient une seconde famille. Il est courant d'y passer deux journées obligatoire minimum par semaine, plus le temps libre, voir même de dormir sur place. Alors, entre les cours réguliers, ceux de japonais, ceux de la licence de guide touristique et un job à temps partiel sur lequel je doit rédiger mon mémoire... OUI, je sais, j'ai encore eu les yeux plus gros que le cerveau.

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Je rentre à la maison et m'installe sous le kotatsu, cette table chauffante et sa couette moelleuse  pour remplir les innombrables fiches requises par l'université. J'en aurais pour la soirée, ca me changera les idées. 

 

Mais c'est pas grave, parce que ma main sent encore le poney.

 

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