Les 4 vies de Rill - Partie 2
09 févr. 2016Après un an de vie au Japon, je rentre en France avec la ferme intention de reprendre mes études et de décrocher un BAC+3 dans le but d'obtenir enfin un visa de travail. Attention, la première moitié de cet article est tristounette, si vous n'allez déjà pas bien, zappez directement à la deuxième ! ;)
Atterrissage forcé
Dire que le retour en France fut rude serait un euphémisme.
Passé les retrouvailles chaleureuses avec famille et amis, je me senti comme vidée. On sait tous que le retour d'une expérience si importante qu'elle a marqué votre vie à jamais provoque ce genre d'ascenseur émotionnel. Des connaissances ayant vécu à l'étranger, à fortiori au Japon, je sais qu'aucun n’a échappé au spleen du retour. On ne fait que relever ces petits détails, ces différences jamais remarquées auparavant. On se sent décalé, comme un livre qui ne serait pas rangé sur la bonne étagère. Mais on se dit que ça va passer, que c'est normal, et qu'après quelques mois de nouveaux souvenirs, de nouvelles conversations, tout rentrera dans l'ordre.
Je profitais donc de l'été pour voir du monde, bouger et me dorer au soleil entre deux jours de travail chez Ikéa. Je créais milles occasions de vivres de nouvelles choses, afin de m'encrer de nouveau dans cette réalité. Je dressais Perceval-Clarence, le siamois-qui-louche à s'assoir sur commande, et lui fabriquais un nœud-papillon. Je m'investissais dans la vie associative en participant notament au Festival Animasia organisé par l'association Mandora de Pessac, fis l'acquisition d'une moto Yamaha 600 baptisée "Givre" à cause de sa couleur argent.
Pourtant, les souvenirs de cet été n'ont qu'une couleur fanée, un grain usé et un goût de cendres. Pour la première fois de ma vie, j'ai eu le mal du pays.
Je remplissais bien entendu mes obligations avec une frénésie sans faille, mais le moindre grain de sable dans l'engrenage de la journée me faisait perdre pied. Depuis mon retour, j'étais parfois prise d'accès de rage et de chagrin. Submergée, me mettant soudain à hurler, je me sentais seule au monde, désemparée. J'avais la sensation intolérable d'avoir perdu un être si cher, si précieux, que j'en portais le deuil en permanence. Cependant, je gardais tout pour moi, bien décidée à ne montrer que mon sourire et nombre de mes proches n'y vurent que du feu. Il me semblait impossible d'en parler aux gens autour de moi, sûre de passer seulement pour une gamine aimant se complaindre dans la douleur. Bien qu'étant certaine de ne jamais avoir cherché à vous épargner les apsects négatifs de la vie dans l'archipel, je voyais déjà les gens me juger comme une fanatique parlant de la terre promise.
Dans ces moments là, je ne pouvais m'empécher de repenser à ces expatriés rencontrés sur place. Pour une certaine catégorie, la solution avait été le mariage avec des japonaises en mal de romance à la française. Une fraction d'entre eux n'avait même jamais pris la peine d'apprendre la langue, et se complaisait dans des "soirées internationnales" où les seules discussions concernaient les techniques de drague destinées aux nouveaux arrivants avides de relations intimes et la critique de tout ce qui fait la magie du pays. Je les detestais de toute mon âme pour la facilité avec laquelle ils pouvaient se permettre de cracher sur ce à quoi j'aspirais depuis si longtemps. Je jetais ainsi aux orties toutes mes théories sur la liberté individuelle et les choix de vie qui ne regardent que soi.
Je subissais en fait le contre-coup de ce que je considérais comme le premier véritable échec de ma vie, tout en sachant qu'il était hors de question d'abandonner. J'étais cenpendant bien incapable de maitriser mon energie qui échapait sans cesse à mon contrôle soit en larmes soit en rancune. Bien loin de me permettre de refaire surface, cette rage me consumait de l'intérieur.
Kyu SAKAMOTO - Ue wo muite arukou (Je marche en regardant le ciel) 1961
Les paroles en français
Je marche en regardant le ciel Afin de retenir mes larmes Je me rappelle ces jours de printemps Mais je suis tout seul ce soir Je marche en regardant le ciel Je compte les étoiles avec les yeux larmoyants Je me rappelle ces jours d’été Mais je suis tout seul ce soir Mon bonheur se trouve au-delà des nuages Mon bonheur se trouve dans le ciel Je marche en regardant le ciel Afin de retenir mes larmes Cependant, je pleure en marchant Et je suis tout seul ce soir (Whistling) Je me rappelle ces jours d’automne Mais je suis tout seul ce soir Mon malheur se trouve à l’ombre des étoiles Mon malheur se trouve à l’ombre de la lune Je marche en regardant le ciel Afin de retenir mes larmes Cependant, je pleure en marchant Et je suis tout seul ce soir
A la rentrée, je fis la connaissance des camarades de BTS, mais le cœur n'y était pas. Amère, j'en voulais à la terre entière. Souvent au bord de l'explosion émotionnelle, je leur reprochais silencieusement de ne pas avoir traversé la même chose, d'être incapable de comprendre. Je ne supportais pas leurs remarques, leurs rires et leurs badinages. Refusant tout contact comme un animal blessé montrant les crocs, combien de fois ai-je voulu m'enfuir en courant de cette classe où j'étouffais.
La nuit n'offrait aucun répit à mon agitation. Revivant en boucle des scènes d'adieux déchirants et réveillée par mes propres gémissements, j'entendais la voix de mes élèves. J'avais l'impression de les avoir abandonné. Ma mère accourait, alarmée par mes sanglots.
Les mois passaient, mais rien de changeait, au contraire. Vint une époque peu avant noël, où après une énième crise de sanglots à faire pâlir un crocodile du Nil, ma génitrice s'avoua vaincue.
Le coup de pied vers la lumière
On dit souvent que lorsqu'on a touché le fond, un simple coup de pied suffit pour remonter vers la surface. Le mien fut de prendre un rendez-vous avec un psychologue. Pas d'aller le voir, non. Juste le fait d'admettre que j'étais en dépression et qu'il fallait se ressaisir. Bon, une fois le rendez-vous pris, j'y suis allée bien-entendu. Une demi-douzaine de fois même, sans jamais avoir l'impression d'être comprise. Je décidais alors de mettre un verrou sur mes sentiments de détresse, et de les oublier jusqu'à ce qu'ils se dissolvent d'eux mêmes. Le printemps arriva et je m’ouvrais naturellement aux rayons de soleil réconfortants.
Les affaires reprennent
D'un autre côté, après avoir passé un trimestre entier à me battre contre moi-même, je réalisais que le BTS Tourisme me passionnais. Me révélant bonne dans la plupart des matières, mes formateurs ne tarrisaient pas d'éloges. La formation se déroulait en alternance et j'avais fait le choix de profiter chaque mois d’une entreprise différente. Je m’absorbais entièrement dans les cours et le travail en intérim qui occupait chacune de mes vacances scolaires, et mon mal-être s'estompa doucement. Peu à peu, m'intéressant à mes camarades qui m'avaient jusque là classé dans la catégorie "peu fréquentable et chiante", je commençais à apprécier les particularités de chacun, et profitait de nos quelques années d'écart pour retomber en adolescence. Je travaillais tout l'été pour financer la deuxième année d'études profitant d'une semaine de stage aux Îles Canaries aux frais de la princesse avec Thomas Cook, d'une autre de traduction à la Japan Expo de Paris, de quelques guidages de touristes et amis japonais dans Bordeaux, et d’un nombre indécent d'heures à surveiller les caisses rapides de votre magasin d'ameublement suédois préféré.
Dès le mois de janvier et selon mes préceptes prévisionnaires à faire pâlir une confrérie scoute, j'avais contacté un grand tour opérateur japonais basé à Londres. Je voulais y réaliser un stage, consciente qu'une telle expérience serait un atout incomparable pour mon profil. A ma grande joie, on m'accepta en tant qu'employée temporaire dès le mois d'octobre, un statut bien plus intéressant pour mon portefeuille que celui de stagiaire dans l'hexagone. Les efforts commençaient à porter leurs fruits. J'avais décidément bien fait de choisir ce diplôme qui m'allait comme un gant. Mais je dus redoubler d'efforts afin de suivre un rythme de formation exigeant plusieurs successions d'un mois en France et d'un autre à Londres. Le tout bien entendu en empêchant mes notes de trop en souffrir. J'ai bien cru ne jamais y survivre.
Pourboire et cartes de visites
La deuxième année de BTS Tourisme s'achevait sur les chapeaux de roues et je finis par décrocher un CDD dans une entreprise de tourisme de luxe où j'oeuvrais d'avril à juillet. J'y restais jusqu'à la fin de mes examens, avant de me rendre à Paris pour travailler une deuxième année à la Japan Expo, le rendez-vous annuel des passionnés de culture nippone et de nombreux acteurs du tourisme. J'y occupais un poste d'agent d'accueil pour les professionnels et presse, récoltant au passage de nombreuses cartes de visites. Je jouissais par là-même d'un accès illimité au festival aux heures où le public ne se balade plus ou pas encore dans les allées : le rêve.
A la fin de cette semaine de chaleur insoustenable, où j'avais retrouvé un rythme de travail proche de celui du Japon, je reçu un appel de ma responsable de BTS. Les résultats étaient tombés, je me retrouvais Major de la promotion Aquitaine. Sacrénom d'une carabistouille ! Mes proches n'avaient cessé de dire que j'en faisait trop, je comprenait seulement maintenant le sens de leur propos.
Je devais maintenant m'inscrire en licence, afin d'obtenir enfin le sésame pour un visa de travail mérité.
Je décidais donc d'en faire encore plus.
Suite et fin (de l'article) au dernier épisode !